Après avoir travaillé six ans dans la restauration et l’hôtellerie, Antoine François s’est finalement lancé dans l’aventure du cinéma d'animation. Curieux de nature, il aime explorer des thèmes qui lui sont étrangers pour les faire découvrir ensuite au plus grand nombre. Une aptitude éveillant naturellement son intérêt pour le documentaire animé. Les formats inhabituels, le travail de la forme par la couleur, le travail des textures et le mélange des techniques lui sont chers et sont des éléments que l'on peut retrouver dans Exuvie, court-métrage d’animation dont il est le réalisateur et pour lequel il s’est occupé de l’enregistrement du témoignage, de la pré-production, de la direction artistique et du compositing.
Exuvie est un court-métrage réalisé par Antoine François et d’autres étudiant.e.s du LISAA dans le cadre de leur diplôme de Bachelor Animateur 2D. Il présente une maladie de peau, le vitiligo, à travers le témoignage d’une femme qui en est atteinte. Ce court-métrage nous a beaucoup touchées car il raconte son histoire de façon très personnelle en abordant les effets psychologiques éprouvés face à cette maladie et l’acceptation de soi ; mais aussi grâce au travail d’animation réalisé par Ornella Hildevert, Camille Ringuet et Adèle de Girval.
Prod. ✶LISAA✶
Nous avons interviewé Marie-Laure qui a témoigné pour le film Exuvie et nous lui avons posé quelques questions.
Bonjour, tout d'abord merci d'avoir pris le temps de nous répondre. Qu'est-ce qui vous a poussé à témoigner?
Marie-Laure: Bonjour, j'ai accepté de parler de mon histoire car je pense que cela peut aider des personnes qui se reconnaîtront dans mon parcours. Quand l'équipe du film m'a proposé de faire un essai, j'ai été curieuse de voir si j'arriverais à me livrer facilement. Finalement, je me suis laissée prendre au jeu et en discutant avec eux, j'ai pris conscience que la maladie avait beaucoup moins d'impact sur ma vie aujourd'hui. En fait, je ne m'étais jamais vraiment confiée aussi intimement à ce sujet et cette expérience m'a permis de prendre du recul. C'était une sorte d'introspection personnelle, un peu comme un bilan, car j'ai une cinquantaine d'années aujourd'hui. En voyant le film, je peux dire que ça a été bénéfique dans le sens où ça m'a fait prendre confiance en moi.
Le travail d'acceptation de soi est un long cheminement, qui semble avoir été permis par votre rencontre avec Teddy. Mais réussissez-vous à vous accepter pleinement désormais ?
ML: Lorsque j'ai rencontré Teddy, il m'a prouvé que pour lui le Vitiligo était quelque chose d'insignifiant et que j'y accordais trop d'importance. Je dois dire que j'ai été surprise de cette réaction à laquelle je ne m'attendais pas du tout. C'est à ce moment-là que j'ai eu un déclic. Après cette rencontre m'a poussée à faire un travail sur moi, mais ça n'a pas tout solutionné. C'est au fil des années, avec l'expérience que j'ai appris à l'accepter. Quand j'ai eu mes enfants, mon regard a changé. Je pensais moins au Vitiligo et au fur et à mesure, mes préoccupations ont évolué.
Il se trouve que depuis un certain temps je vis à la campagne et je m'expose un peu plus au soleil qu'avant, en prenant mes précautions tout de même. C'est peut-être grâce à ça que j'observe que certaines parties de mon corps se repigmentent, chose qui jusqu'à maintenant me paraissait de l'ordre de l'impossible. Je ne sais pas si je peux dire que j'ai "pleinement" accepté mon Vitiligo. Je crois qu'il y aura toujours une partie de moi qui préférait avoir une peau uniforme mais maintenant j'utilise de moins en moins d'artifices et je me moque du regard des autres.
Qu'est-ce que vous pourriez dire à une personne dont le Vitiligo viendrait de se déclarer?
ML: C'est une question difficile car chaque personne réagit différemment. Je pense que la recherche a fait beaucoup de progrès. Je suis sûre que d'ici quelques années on aura probablement trouvé quelque chose qui permette d'interrompre l'évolution. On connaîtra beaucoup plus la maladie qu'il y a trente ans par exemple, quand j'étais jeune et que je ne savais pas vers quoi me tourner. Même si c'est difficile d'en parler, il faut réussir à verbaliser notre ressenti car le Vitiligo a un gros impact psychologique.
Le Vitiligo est une maladie de plus en plus médiatisée, notamment grâce à des mannequins comme Winnie Harlow qui a posé pour la marque Desigual. Que pensez-vous de cette visibilité nouvelle? Est-ce suffisant selon vous?
ML: C'est une très bonne initiative selon moi car il faut continuer à faire connaître la maladie. Même si elle est plus visible aujourd'hui, il y a encore beaucoup de méconnaissance notamment concernant son fonctionnement. Contrairement à ce que certains pourraient croire, ce n'est pas une pathologie contagieuse, on "n'attrape pas" le Vitiligo comme on attrape un rhume, c'est une maladie
auto-immune. J'espère que cette démarche, tout comme le film, incitera les gens à se renseigner et à ne plus stigmatiser cette maladie.
Quels genre de retours avez-vous eu par rapport au film EXUVIE?
ML: Je suis devenue une véritable star! (rires) Plus sérieusement, je n'ai eu que de bons retours, particulièrement de personnes de ma famille, même à qui je n'avais rien dit et qui m'ont reconnue. J'ai aussi lu des commentaires d'anonymes et cela m'a touchée.
Merci d'avoir partagé votre expérience avec nous. Un dernier mot?
ML: Je tiens à remercier toute l'équipe d'EXUVIE de s'être intéressée à mon histoire, et d'avoir su illustrer avec poésie mes mots. Le film est très beau et je trouve qu'il réussit bien à retranscrire ce que j'ai essayé de dire en peu de temps.
Nous avons interviewé Antoine François, réalisateur du film Exuvie et nous lui avons posé quelques questions.
- Comment l’idée d’Exuvie vous est-elle venue ?
L’idée d’Exuvie m’est venue après une discussion avec Ornella qui est animatrice sur le film. Je voulais depuis longtemps aborder le thème du corps: les traces du temps, les cicatrices, les vergetures... Tout ce qui évoque sa transformation et l'impact que cela a sur notre vie comme le regard des autres et celui que l’on porte sur soi. Ornella m’a alors parlé du vitiligo qui touchait certains de ses proches. Je me suis renseigné et j’ai trouvé la maladie fascinante. Il y a beaucoup plus de personnes atteintes du Vitiligo que ce que j'imaginais et pourtant il reste méconnu. C’est une maladie qui contient toujours beaucoup de mystère mais l'on sait que l'aspect psychologique est très important. Graphiquement, je trouvais les tâches très belles et je savais qu'il y avait matière à s'amuser avec, à créer un univers visuel riche. J’ai décidé d'en faire mon sujet mais je souhaitais rencontrer des gens qui vivaient avec cette maladie, aller chercher l’information "à la source" . J’ai donc pris contact avec l'Association Française du Vitiligo qui se trouve à Paris et j’ai vraiment reçu un accueil chaleureux ! Ils ont pris le temps de comprendre mon projet et de partager leur expérienceavec moi.
Tout au long de l'élaboration du film nous avons d'ailleurs continué à échanger par mail. Leur retour sur le film m'a particulièrement touché. Ça peut sembler un peu niais mais savoir que le film avait trouvé un écho dans leur histoire m'a ému, c'était important. Après ma rencontre avec l'AFV, j'ai fait celle de Marie-Laure, qui a accepté de me livrer son témoignage. Nous avons pris le temps de nous connaître et d'échanger pendant de longues heures (l'enregistrement original dure plus de quatre heures!). Je vous laisse imaginer la difficulté de raconter autant en quelques minutes et de faire des choix alors que j'aurais aimé tout garder. Nous avons essayé de ne pas "trahir" son expérience malgré tout, car encoreune fois c'était ma préoccupation principale.
A partir de son témoignage j’ai ensuite fait beaucoup de recherches graphiques sur le corps et les tâches en peinture, afin d'obtenir de la texture et de rendre l'aspect charnel du corps. L'idée conductrice du projet était celle d’un vitiligo qui bouge et évolue sur le corps en fonction des émotions.
- Pourquoi avoir choisi le titre d’Exuvie ?
Le titre Exuvie vient d'un autre domaine que j'affectionne beaucoup : l’entomologie (l'étude des insectes). Chez les invertébrés, lorsque les individus se métamorphosent, ils laissent derrière eux une peau: c’est l’exuvie. Je trouvais qu'il était intéressant de faire un parallèle entre cette transformation et l'histoire de Marie-Laure.
- Quel est le message que vous avez voulu faire passer ?
Je vais peut-être répondre un peu simplement mais j’ai voulu transmettre le message de Marie-Laure et surtout le raconter en image. Le message c’est plutôt elle qui le porte, nous sommes juste des intermédiaires en quelque sorte. C'est au spectateur de se l'approprieraussi, mais l'essentiel pour moi c'est qu'il ait pu être entendu.
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